À Pointe Lévy le 11 septembre 1775 , mutinerie et sédition à la Pointe-de-la-Martinière

Publié le par yvanmroy

Publié dans la Revue de la Société d’histoire régionale de Lévis (SHRL), dans le numéro 139 (Hiver 2016) et 140 (Printemps 2016)

 

Par Yvan-M. Roy                                                                      (SHRL : Numéro 139)

 

En 1775, un fort nombre d’habitants du Massachusetts s’identifiant comme  ‘’patriotes’’ s’étaient rebellés et avaient réussi à enfermer la garnison anglaise dans la ville de Boston. Ils avaient envoyé des délégués à Philadelphie pour siéger au Congrès des Colonies-Unies, ou Congrès Continental. Les délégués avait voté la création d’une armée, autorisé l’engagement de 15 000 hommes et nommé George Washington pour commander. Ils avait également décidé de lancer une expédition pour chasser les Anglais hors de la province de Québec et d’admettre celle-ci comme quatorzième colonie de leur union. Afin d’éviter que habitants de la province ne soient mobilisés pour contrer leur projet, les Congressistes adressèrent une ‘’Lettre aux Canadiens’’ dans laquelle ils invitaient le peuple à les rejoindre dans leur lutte pour la liberté, et, à défaut, ils les incitaient à garder la neutralité. Des copies de cette lettre d’invitation furent introduites par des espions dans les villes et les campagnes. Nos ancêtres furent placés devant trois options : adopter la cause des ‘’Patriotes’’, demeurer neutres, ou joindre  les ‘’Loyalistes’’.  À la fin de l’été, les habitants de la rive-sud, de Kamouraska à Lotbinière, furent sommés par le gouverneur d’aller défendre la frontière à Sartigan, en haute Chaudière. Les paragraphes qui suivent exposent les événements qui se sont déroulés dans l’est du continent, et particulièrement à Pointe-Lévy, lors de la première année de la révolution américaine.

Le gouverneur Carleton donne l’ordre de reformer les compagnies de milice

Depuis 1764, les colonies de la Nouvelle-Angleterre avaient donc protesté énergiquement contre diverses lois imposées par le gouvernement de Londres. En avril 1775, les Bostonnais s’étaient rebellés. De Québec, le gouverneur Guy Carleton avait envoyé deux régiments de sa garnison pour augmenter celle de Boston, laissant la capitale pratiquement sans défense. Ce fut pourquoi le gouverneur voulut rétablir dans la province les compagnies de milices qui avaient été démembrées après la Conquête. En mai 1775, répondant à des rumeurs que les ‘’Bostonnais’’ préparaient une expédition dans le corridor des rivières Kennebec et Chaudière, Carleton donna l’ordre à Gabriel-Elzéar Taschereau, seigneur de Nouvelle-Beauce, d’enrôler ses censitaires. À Saint-Joseph, lorsqu’il voulut s’adresser aux habitants, ceux-ci se dispersèrent, refusant de l’entendre. Il revint donc bredouille à Québec. La résistance à l’enrôlement se répandit dans  le pays laurentien. 

Guy Carleton

Guy Carleton

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le  Congrès décide d’envahir la province de Québec

Le  Congrès avait mis en marche un projet d’aller en guerre outre-frontière. Depuis l’Acte de Québec de 1774, le Canada s’appelait officiellement‘’ Province de Québec’’. Le terme Canadien était cependant encore utilisé pour désigner les habitants. Le territoire s’étendait du Labrador jusqu’aux Grands Lacs et la rivière Ohio. L’acte avait choqué les spéculateurs et les gens de commerce des 13 colonies de la côte atlantique. Au début de juillet, des espions parcoururent la Nouvelle-Beauce, distribuant la lettre du Congrès aux Canadiens. Sur le lac Champlain,  Richard Montgomery qui commandait l’Armée Continentale du Nord, se préparait à entrer au pays par le corridor formé par la rivière Hudson, le lac Champlain et la rivière Richelieu. Benedict Arnold, du Connecticut, passé d’armateur à colonel en quelques mois, proposa à George Washington d’attaquer directement Québec avec un second corps d’armée de 1 200 hommes. Son plan était d'atteindre Québec en remontant la Kennebec, en rejoignant le lac Mégantic, et en descendant la Chaudière. Washington accepta et confia la direction de l’expédition à Arnold.

Benedict Arnold

Benedict Arnold

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré leur serment d’allégeance, les habitants des villages devant Québec refusent l’enrôlement

 Le 10 septembre, un samedi, le major Henry Caldwell, seigneur de Lauzon, convoqua ses censitaires pour rétablir les compagnies de milice dans sa seigneurie. Caldwell se proposait de préciser qu’en raison d’une menace d’invasion du pays, il avait reçu l’ordre de procéder à leur enrôlement. Il espérait inscrire plus de 250 hommes. Pour les contraindre, il lui fallait rappeler le serment d’allégeance qu’ils avaient prêté au roi George II d’Angleterre au lendemain de la Conquête. Au moment de livrer ses propos, Caldwell  a-t-il subi le même traitement que le seigneur Taschereau s’était fait servir pas les habitants de Saint-Joseph ? Quoi qu’il en  soit, Caldwell eut le temps de remettre quelques commissions d’officiers. Toujours est-il qu’il retourna à Québec sans avoir pu procéder à l’enrôlement. Voici d’ailleurs ce qu’écrivit ce soir là un certain James Jeffrey dans  son journal :  ‘’Le major CaldwellWilliam Grant et plusieurs autres ont été à Pointe-Lévy aujourd’hui pour recruter des hommes, mais ils n’en ont pas eu un seul.[1] 

Le lendemain, après la messe, Caldwell était de retour avec Gabriel-Elzéar Taschereau et plusieurs autres. Ce fut en vain. Le 12, dans son journal, ce même James Jeffrey écrivit  : Les rapports de la matinée sont qu’hier, à la Pointe-Lévy, les hommes qui avaient été réunis d’aussi loin que Kamouraska, au nombre de 1 400 ou 1 500, contrairement à ce qui fut rapporté hier pour  être envoyés à Sartigan, avaient été convoqués pour reconduire à Québec ceux qui étaient venus pour les enrôler. Ils ont malmené Caldwell, Taschereau et compagnie et ont déclaré qu’ils ne pourraient pas en recruter un seul dans toutes les paroisses de la rive sud. Aucun canot venant de Pointe-Lévy n’est venu au marché aujourd’hui.’’[2] 

Gabriel-Elzéar Taschereau

Gabriel-Elzéar Taschereau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des postes de garde pour se protéger contre l’enrôlement

Dans les jours suivants, les habitants de Pointe-Lévy jusqu’à Montmagny établirent des postes de garde dans chaque village pour s’opposer à une descente ayant pour objet de les enrôler. Pour accélérer les communications, ils communiquaient les urgences par le moyen de feux.[3] Quelques mois auparavant, la garnison de Boston avait subi des pertes sérieuses à Concord et Lexington en tentant de mater la rébellion des patriotes Bostonnais. C’était ce que la garnison de Québec voulait éviter. Il n’y eut pas de descente. Les résidents de la Côte-du-Sud étaient déterminés à ne pas s’en laisser imposer, que ce soit par l’état ou par l’église. Pierre Cadrin, un habitant de Saint-Michel, était surement présent à l’assemblée tumultueuse du 11 septembre à Pointe-Lévy. Trois semaines plus tard dans l’église de son village, le 1er octobre, en pleine messe du dimanche,  Cadrin avait interrompu d’une voix forte  le prédicateur jésuite qui prêchait « l’obéissance aux puissances civiles » : ‘’C’est trop longtemps prêcher pour les Anglais’’ , avait-il lancé. Selon la tradition orale, il aurait ajouté : …prêchez donc pour le bon Dieu maintenant ».[4]

Les Bostonnais passent la frontière en fin d’octobre

La nouvelle que les ‘’Bostonnais’’ avaient passé la frontière arriva à Pointe-Lévy à la fin d’octobre. Il fut décidé d’envoyer un homme du village porter à leur colonel certains renseignements d’importance ainsi qu’une offre de coopération. Ce messager, Ignace Couture,[5] fut arrêté par les éclaireurs de l’avant-garde après avoir passé Saint-Henri. Couture les informa alors qu’un détachement de loyalistes avait visité la rive-sud, saisissant ou détruisant tous les bateaux et canots. Craignant une descente punitive de forces gouvernementales, Couture ajouta à l’intention du colonel que les gens de son village lui demandaient de se presser pour venir leur porter secours sans quoi ils seraient forcés de prendre les armes contre eux. Enfin, il prêta son cheval à un des éclaireurs pour qu’il aille sans délai à Sainte-Marie où se trouvait  Benedict Arnold. Dès qu’il prit connaissance des informations transmises par Couture, Arnold envoya acheter une vingtaine de canots auprès des Abénaquis de Sartigan dont le grand chef Swachan avait été au cours du mois de juillet visiter George Washington à son quartier général de Cambridge. 

La maison Carrier-Couture,  Benedict Arnold a rencontré Ignace Couture en arrivant à Pointe-Lévy le 7 novembre 1775

Maison d'Ignace Couture

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Bostonnais atteignent Pointe-Lévy

L’avant-garde des Bostonnais arriva à Pointe-Lévy dans la nuit du 7 novembre. Arnold suivit[6] de peu tandis que le reste de la troupe les rejoignit avec des canots les jours suivants. Mathias Ogden décrivit l’état dans lequel se trouvaient alors ses compagnons : ‘’Le total (de notre armée) ne dépasse pas six cents hommes, peu équipés pour combattre, la plupart d’entre nous manquons de vêtements, un bon nombre vont nu-pieds, presque sans munitions, et l’hiver qui approche à grand pas ».[7] De son côté, quelques jours auparavant, Isaac Senter écrivit dans quelle condition ils étaient apparus aux habitants en arrivant à Sartigan : ‘’Voir un bon nombre de créatures si affamées, ayant l’air plus des fantômes que des hommes, sortant de la grande brousse, des armes à la main, fut le spectacle le plus renversant qu’ils avaient jamais vu.’’ Finalement, George Morison, fut très bref  : ‘’…(ils) ressemblaient plus à des fantômes qu’à des hommes’’.[8] Au début de l’été 1759,  les habitants de Pointe-Lévy avaient vu le général Wolfe arriver devant Québec avec une armée de 7 000  soldats appuyée de 18 000 marins.[9] Un sérieux doute n’a pu lors que de s’installer dans l’esprit du peuple, et même chez les téméraires et les audacieux qui jonglaient encore à l’idée de prendre les armes avec les Bostonnais pour libérer le pays. 

Une relation d’affaire vient rencontrer Arnold à Pointe-Lévy

Arnold avait antérieurement voyagé par mer jusqu’à Québec pour acheter du blé. Il avait traité avec John Mercer et John Halsted, deux commerçants qui avaient épousé la cause des patriotes. Halsted  était natif du New Jersey. Quand Mercer fut emprisonné le 29 octobre, Halsted s’enfuit alors à l’Ile d’Orléans. Dès qu’il apprit l’arrivée d’Arnold,  il s’empressa de traverser à Pointe-Lévy, prit contact, et entraîna Arnold au moulin de Caldwell à  la rivière à Scie. Halsted connaissaient bien ce moulin car Caldwell lui en avait donné le mandat pour l’administrer. Arnold en fit son quartier-général. Le 12 novembre, dimanche de la Saint-Martin, alors que la troupe s’apprêtait à traverser le Saint-Laurent,  les Bostonnais furent invités à un ‘’fine ball’’ et ils en profitèrent pour boire et s’y amuser en observant les Canadiens danser au son du violon.[10] Le 13 novembre, en soirée, Arnold donna l’ordre de traverser le Saint-Laurent. Le 28 novembre, il en appela à ses « vieux amis » de Pointe-Lévy demandant aux Canadiens de la rive-sud ‘’d’empêcher’’ toute sorte d’approvisionnement ou de fourrage  d’être acheminé à la garnison de Québec. Pendant l’hiver qui suivit, pas un seul canot ne traversa à Québec y porter des vivres.[11] Le premier décembre, Arnold fit jonction avec les 300 hommes de l’armée du Nord du brigadier Montgomery. Québec fut mis en état de siège. Les Bostonnais contrôlaient toute la province, sauf la ville de Québec. Le 31 décembre, à 4 heures du matin, les quelques 1 000 soldats continentaux auxquels s’ajoutaient quelque 150 Canadiens attaquèrent les 1 800 défenseurs de Québec, bien retranchés dans la place forte. L’opération fut un lamentable échec : Montgomery fut tué, Arnold blessé, et 370 soldats furent faits prisonniers.

L’hiver à Pointe-Lévy

Durant l’hiver, les Bostonnais utilisèrent le moulin de la rivière à Scie comme quartier pour la collecte de denrées et de bois de chauffage. Les hommes de Pointe-Lévy transportaient les provisions en voiture sur le fleuve gelé. Les Bostonnais payaient en dollars des Colonies-Unies. Des jeunes gens furent engagés pour servir à la batterie de canons  mise en place pour bombarder la ville. Une douzaine de miliciens se rendirent à la Pointe-à-la-Caille (Montmagny) pour faire feu contre un parti de royalistes canadiens. Le 5 mai, avec l’arrivée dans le port de 5 navires anglais,  le siège fut levé. La déroute commençait.  Le 1er juillet, il ne restait plus une seule compagnie continentale sur le sol du Québec.  Les dollars des Colonies-Unies que les Canadiens conservaient ne seraient plus jamais d’aucune utilité. Ils pouvaient même servir comme preuves de collaboration avec l’ennemi.

Billet de $20 issu par le Congrès de Philadelphie

Monnaie continentale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Fin du Numéro 239 - Début du numéro 140 )   3, p. 219

 

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