À QUÉBEC, PRIX SPÉCIAL POUR LE VANDALISME (1988)

Publié le par yvanmroy

Par Yvan-M. Roy

Le Soleil, 22 avril 1988

 

Les membres de la Commission d’urbanisme et de conservation de la ville de Québec devaient certainement être frappés d’amnésie lorsqu’ils ont pris la décision d’accorder le Prix spécial de la Commission à la Société immobilière du Québec pour son rôle de maître d’œuvre dans le parachèvement de l’édifice abritant le Musée de la civilisation. La remise du prix a eu lieu le jeudi 31 mars, à l’hôtel de ville de Québec, dans une cérémonie sous la présidence du maire Jean Pelletier.

 

Le Petit Larousse donne au verbe « parachever » le sens suivant : mener à son complet achèvement avec un soin particulier. Les membres de la Commission ont déjà oublié avec quel soin la Société immobilière a fait son entrée sur le chantier. Elle s’est occupée d’une façon très particulière de la conservation de notre patrimoine.

 

Le 10 octobre 1984, le ministre des Affaires culturelles du Québec, M. Clément  Richard, et son collègue responsable de la Société immobilière du Québec, M. Alain Marcoux, annoncèrent le début des travaux du Musée de la civilisation, le tout devant se dérouler dans le respect du patrimoine bâti.

 

L’autorisation du ministre Richard stipulait que les voûtes et le rez-de-chaussée de la maison Pagé-Quercy devaient être conservées et intégrés au Musée comme élément didactique. Le 7 novembre 1984,  les lecteurs du journal Le SOLEIL étaient informés qu’avait eu lieu, le samedi précédent, la démolition scandaleuse de la maison Pagé-Quercy, et ce à l’encontre des directives ministérielles.

 

Dans les jours qui suivirent, Le SOLEIL publia plusieurs lettres de lecteurs qui dénonçaient unanimement l’acte de vandalisme. Le journal titra : « Un saccage qui était prévisible », « L’incurie du Québec en matière de patrimoine », « La culture au temps du bulldozer », « Le musée de la démolition ».

 

Parce qu’elle se rendait compte que la Société immobilière gérait mal le chantier, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec a demandé au premier ministre René Lévesque de retirer à la Société immobilière la gestion du chantier. Le photographe du SOLEIL s’est même fait expulser du chantier parce qu’il prenait des photos des vestiges du régime français que les travaux d’excavation venaient de mettre à jour.

 

L’éditorialiste Jacques Dumais déplora ainsi la mauvaise gestion de la Société immobilière : « Cet incident ne redore pas le blason d’un Québec d’ores et déjà sous-développé quant au patrimoine archéologique. Il est pour le moins cynique, en effet, de voir surgir un « Musée de la civilisation » sur un emplacement où l’on fait table rase des éléments réels de cette même civilisation. Combien d’autres vestiges subiront encore l’épreuve du pic et de la pelle avant la fin des travaux ? »

 

Le rapport sur la surveillance et le sauvetage des vestiges archéologiques au Musée de la civilisation à Québec (1986) fait état d’embarcations anciennes originant du régime français qui ont été en partie ou en totalité détruites par l’excavatrice de la Société immobilière du Québec.

 

Le chargé de projet de la Société immobilière a montré en 1984 à toute la province comment il fallait s’y prendre pour mettre le ministre des Affaires culturelles du Québec dans « sa petite poche d’en arrière ». Il suffisait d’agir le samedi, quand tous les bureaux gouvernementaux sont fermés. Le maire de Montmagny a suivi la recette de la Société immobilière en faisant procéder à la démolition d’un couvent qui jouissait pourtant de la protection de la Loi sur les biens culturels.

 

En accordant son Prix spécial à la Société immobilière du Québec, la Commission d’urbanisme et de conservation de la ville de Québec se trouve à récompenser  un mandataire de l’État qui s’est montré irrespectueux de nos lois et de nos institutions, qui s’est montré insouciant et irresponsable vis-à-vis des éléments patrimoniaux qui se trouvaient dans son champ d’intervention, qui a donné le mauvais exemple à tous les maîtres d’œuvre du Québec. La Commission encourage ainsi l’anarchie.

 

Ce Prix spécial accordé à la Société immobilière du Québec ne redore pas le blason de la ville de Québec. La ville du Patrimoine mondial devrait savoir qu’il est illogique d’accorder un prix de conservation aux responsables d’actes de vandalisme. La Société immobilière doit rendre le Prix spécial parce qu’elle n’y a pas droit.

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